Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usagesBonjour à tous et à toutes!
Pour nous amateurs de Nature et passionnés de bushcraft, le couteau est un compagnon indispensable qui ne quitte jamais notre ceinture ou nos poches. A l'heure actuelle où affluent des centaines de couteaux de toutes marques, de qualité et de design variables, on ne sait plus où donner de la tête et on a tendance à en oublier les couteaux traditionnels, ceux là même que nos ancêtres ou que les peuplades ancestrales utilisaient (et utilisent encore pour certaines!) et qui ont largement fait leur preuve durant des siècles sur le terrain : Il me semble donc intéressant de se pencher sur les anciennes traditions de forge et les usages des couteaux du passé...
![[Article serie couteau traditionnel] Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usages 63239320](https://2img.net/r/ihimizer/img850/1766/63239320.jpg)
Cosaque de la garde impériale en tenue officielle, kinjal à la ceinture. Gravure du 19ième siècle.
Je viens donc aujourd'hui vous présenter une tranche de culture et de couteaux, pour vous parler un peu de ceux qui sont en usage du coté des cosaques
Le KINJALLe kinjal (кинжал : "couteau" en russe / parfois dit aussi "Kindjal") est le poignard en usage dans des nombreux groupements cosaques, et ceux depuis leurs origines jusqu'à nos jours. Originaire du Caucase et en usage par les peuplades locales, ce couteau de part sa configuration et son efficacité fut très rapidement adopté dans la culture cosaque jusqu'à devenir un véritable symbole du statut même de Cosaque...Caractéristiques générales du Kinjal caucasien utilisé par les cosaques (variables en fonction du type de kinjal et de ses composants matériels). -lame damassée
-pointe perce-maille
-lame plate à double tranchant émouture plate en V
-largeur de lame au plus fort : de 2cm à 8cm environ
-longueur de lame : de 15cm à 50cm environ
-longueur du couteau (poignée comprise) : de 30cm à 70cm environ
-poids : très variable de 600Gr à 1kg environ
-étui (fourreau) en bois recouvert de cuir d'agneau noir ou de chèvre
![[Article serie couteau traditionnel] Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usages Ouralentenuetraditionne](https://2img.net/r/ihimizer/img812/9126/ouralentenuetraditionne.jpg)
Caucasien en tenue traditionnelle, kinjal à la ceinture. Gravure du 18ième siècle.
Le terme de kinjal en russe moderne est assez ambigüe car il désigne à la fois un couteau, celui de la vie de tous les jours, et en même temps le kinjal cosaque/caucasien lui même, ce qui peut apporter des confusions. Peut être que le kinjal cosaque influença la langue russe pour finir par désigner le couteau par excellence, non? (
allez, un peu de chauvinisme humoristique ne fait pas de mal hein)...L'origine de ce poignard en cosaquerie semble compliquée à retracer même pour les spécialistes du domaine (pensons aux Professeurs Lebedynsky ou Goudagov), étant donné les nombreux échanges culturels entre les différentes peuplades des régions fréquentées par les cosaques dès leur ethnogénèse(1). En ce qui concerne l'origine purement caucasienne du poignard, la piste la plus intéressante et sûre serait indienne, ou tout du moins de la région himalayenne.
Chez les cosaques, on peut aisément par contre citer trois sources, c'est à dire au moins trois courants qui se côtoyèrent dans le temps concernant l'origine et la fabrication du kinjal spécifique cosaque :
-le style caucasien (le plus répandue pour les cosaques occidentaux à l'ouest de l'Oural / le kinjal classique à lame droite et double tranchant)
-le style nomade (pour les cosaques et surtout les cosaques d'origine nomade à l'Est de l'Oural / souvent à lame courbe et unique tranchant)
-le style oriental et persan (pour les cosaques du Sud de la Russie proche des régions persanes et turques / parfois un modèle de kinjal courbe et à double tranchant).
Au fur et à mesure de l'évolution ethnique des cosaques, ces trois styles se côtoyèrent largement et s'influencèrent pour donner naissance à des modèles "purement cosaques", empruntant de ce qu'il y avait de meilleur (et de plus esthétique : car pour un cosaque, le pragmatique ne doit rien enlevé à la beauté de l'objet) dans les divers courants.
Cependant, de tous les styles de kinjal, c'est le style caucasien qui fut/est le plus répandu et le plus apprécié des cosaques. Adopté dès le début de la naissance du peuple cosaque de la région du Caucase, notamment par ceux du Don, du Kouban ou du Terek pour ne citer qu'eux, le kinjal fut recherché tant pour sa qualité de forge(2) damassée exceptionnelle, que par son esthétisme richement ouvragé selon la technique du Niello(3). Les cosaques les plus pauvres quant à eux se contentaient d'un kinjal des plus sobres : monture en métaux non-précieux, poignée en bois, cornes ou os, et fourreau recouvert de cuir de chèvre noire ou d'agneau...La lame était cependant toujours d'excellente manufacture. Il n'était pas rare de posséder plusieurs kinjals, un pour la tenue officielle et un autre pour la vie de tous les jours.
![[Article serie couteau traditionnel] Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usages 525pxkubanskiekazaki](https://2img.net/r/ihimizer/img16/7497/525pxkubanskiekazaki.jpg)
Cosaques du Kouban. Photo 19 septembre 1915 peut de temps avant la révolution bolchévique. Vous pouvez y admirer les kinjal de style caucasien en ceinture...
Le style du couteau était tellement apprécié, qu'il fut même adopté plus tard par la garde personnelle de l'Empereur russe, et décliné également pour l'Armée impériale! En Russie jusqu'à la guerre civile de 1917, il était à la mode de porter un kinjal en ceinture (la mode cosaque étant symbole de rang guerrier, de puissance et de prestance). Ainsi, grand nombre d'aristocrates en portaient...Notons que le kinjal est si symbolique du Cosaque, que Monsieur Vladimir Poutine sous sa présidence autorisa de nouveau les cosaques enregistrés de Russie à porter le kinjal en ceinture légalement et ceux même en place public!
![[Article serie couteau traditionnel] Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usages Romanovscossacks1916cro](https://2img.net/r/ihimizer/img535/8558/romanovscossacks1916cro.jpg)
La famille Roumanov en 1915. Les Hommes de la famille portent la tenue cosaque "tcherkessa" et le kinjal. Véritable effet de mode, la tcherkessa caucasienne (et cosaque par extension) ainsi que le kinjal était ainsi porté en tenue d’apparat.
L'autre style de kinjal répandue et apprécié était un couteau à courbure et plus long nommé bébout par les russes qui fut adopté notamment plus tard entre 1907 à 1910 par diverses unités de l'Armée régulière russe, notamment pour les unités d'artillerie. Ce poignard long est à cheval (sans jeu de mot) entre le kinjal courbe caucasien, et le sabre shashka (grand sabre courbe sans garde). Sa dimension de lame varie entre 30cm et 60cm environ. Ce couteau ne possède qu'un seul tranchant courbe, contrairement au kinjal caucasien qui en a deux.. Beaucoup d'idées reçues attribuent son origine au caucase, voyant dans le bébout un sabre shashka miniature. Pourtant, ce poignard trouverait son origine en réalité chez les nomades, qui adoptaient ce type de couteau également en apparat et en utilitaire. Citons par exemple les tribues Tatars, turkmènes, ou bien encore kalmouks qui en faisaient usage et dont on peut encore admirer les poignards de nos jours...D'ailleurs, une tradition martiale du maniement de ce poignard courbe naquit de ses échanges culturels et fit la renommée des plastuns cosaques ("ceux qui rampent" : troupes de choc cosaques) et autres cosaques à pied, à l'image des célèbres les gurkhas népalais. A la manière des djiguites cosaques (spécialistes de l'équitation guerrière en cosaquerie), les plastuns et cosaques à pied possédaient une forte aptitude au combat rapproché et usaient du kinjal admirablement, tant au contact, qu'au lancer ou comme outil de survie sur le terrain. Je ne vais pas nous attarder davantage sur l'aspect combat qui n'est pas celui qui nous intéresse sur ce forum.
![[Article serie couteau traditionnel] Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usages Actualphotographofcossa](https://2img.net/r/ihimizer/img831/72/actualphotographofcossa.jpg)
Cosaques de divers groupements, lors de l'exploration et de la conquête du Turkestan au 19ième siècle (actuel Kazaksthan). Des membres de ma famille firent partie des forces en présence. Notez l'officier à droite en tcherkessa (tenue traditionnelle cosaque d'origine caucasienne) tandis que les autres cosaques d'origines nomades portent un long caftan (dit chapan en langue turco-mongol ou azaam en langue cosaque qui est un dialecte russo-turco-mongol), avec une grande papakha noire et le kinjal nomade de forme courbe en ceinture. Les cosaques à l'époque sous mandat russe aidèrent les Kazakhs à s'unifier et à repousser les Hordes Dzungars venue de Mongolie et Kirghizie.
Un outil de survie polyvalent De nos jours, un légionnaire dirait : "
jamais sans mon leathermann." Un cosaque dirait : "
jamais sans mon kinjal". A coup sûr, il est l'outil, l'assurance vie, le compagnon de fortune dont on ne se séparait jamais.
Le kinjal EST
un véritable outil à tout faire et quelque soit son origine ou sa configuration, le kinjal sert beaucoup au travail dans la vie de tous les jours (débroussailler, bâtonner, fendre du bois, briser des os, découper un animal et même racler une peau, creuser la terre remuer des braises, servir de brochette à viande, grimper à un mur etc..). En d'autre terme, le Kinjal est au cosaque ce que la machette est aux peuples de la jungle...A titre d'exemple, avec mon kinjal personnel de type caucasien (voir photos plus bas), j'ai débité un conifère de 30cm de diamètre en 9 coups. Qui dit mieux?
Contrairement à la croyance populaire, le kinjal n'était pas un couteau seulement d'hommes, car les femmes pouvaient en utiliser de montures simples sans ornementation dans leur travail de tous les jours. On peut de nos jours en observer encore dans des régions reculées du Caucase, où les kinjals servent à fendre le bois pour le poêle, à briser des os en deux pour en manger la moelle, faucher des mauvaises herbes et même à planter des graines dans le jardin! Cependant, les femmes ne le portent jamais à la ceinture devant comme les hommes mais toujours fourreau à la main ou pendant à la ceinture sur le coté avec une corde tressée...Son utilisation se limitait donc à un usage strictement agraire.
![[Article serie couteau traditionnel] Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usages Dsc03678z](https://2img.net/r/ihimizer/img444/3296/dsc03678z.jpg)
Kinjal de type caucasien, de part sa configuration (lame droite en forme de glaive terminée par une pointe acérée). Ce poignard était qualifié de lame "perce-maille" en raison de son profil. En effet, sa pointe permettait de percer les cotes de mailles et armures et dans un geste de rotation, d'éventrer la protection pour atteindre la chair de son porteur...La qualité de forge du kinjal ainsi que sa longueur et son tranchant particulièrement affiné, en faisait également une arme redoutable...
![[Article serie couteau traditionnel] Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usages Dsc03677t](https://2img.net/r/ihimizer/img607/714/dsc03677t.jpg)
Celui ci est de ma collection personnelle en cours de restauration (poignée non d'origine) et date de 1891.Il a appartenu à un cosaque à pied. Je ne suis pas vraiment porté groupe "coupe coupe", mais je transporte souvent ce kinjal quand les conditions le permettent. J'avoue volontiers que c'est un véritable plaisir de vivre le terrain avec, tant son utilisation est simple et pragmatique et son entretien aisé. L'affûtage est vraiment très facile à faire en raison de sa forme en V et ne se perd quasiment pas étant donné la dureté du métal (je ne saurai dire de quelle qualité il est. Notez qu'un forgeron m'a dit qu'il se rapprochait d'un D2. D'ailleurs, il n'a même pas réussi à percer la poignée, même en la chauffant...)
[http://www]
Kinjal en usage dans mon ethnie d'origine, surtout chez les cosaques de l'Oural d'origine tatare. Notez la courbure de la lame, rappelant les sabres de la steppe ou orientaux.
Il existait également un couteau cosaque en forme de machette également nommé Kinjal que les premiers cosaques de Sibérie utilisaient dans la taïga qu'on appelait aussi "couteau du trappeur", en raison de la vocation trappeur des premiers cosaques en Sibérie du 16ième au 19ième siècle. Le fourreau était caractéristique parce qu'il était fait de cuir épais, souvent de couleur marron ou safran (tannage par fumage) avec un dessin ou une inscription en repoussé, et portait des franges un peu comme celles des vêtements amérindiens. Ces couteaux machettes sont extrêmement difficile à trouver de nos jours...
Les petits couteaux de terrain en usage en cosaquerieLe Kinjal était/est donc surtout utilisé pour le "gros travail". Bien souvent, une petite lame vient en complément pour les "petits travaux" ou tout simplement manger (d'ailleurs on dit "couteau de bouche" chez nous...). Ce sont généralement des petites lames peu larges, avec un bout effilé et arrondie et une mouture en V facile à affûter. Deux plaquettes en bois, en os ou en corne sont directement rivetées sur la soie du couteau. De la simplicité et rusticité pour un maximum d'efficacité. La pointe permet notamment de mettre à mort un animal (pensons au mouton que nous faisons régulièrement) de par sa configuration, en un seul coup appuyé derrière la nuque entre la 3ième et 4ième vertèbre cervical. Mort instantanée, sans douleur et sans effusion de sang, pour un respect de la vie cher à mes yeux...
![[Article serie couteau traditionnel] Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usages Kitbriquetcouteaujohnc](https://2img.net/r/ihimizer/img195/622/kitbriquetcouteaujohnc.jpg)
Ce kit couteau s'accompagnait autrefois du briquet à percussion. Le couteau se porte accroché à la ceinture, directement dans la ceinture de tissus large ou dans la botte.
![[Article serie couteau traditionnel] Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usages Dsc03511y](https://2img.net/r/ihimizer/img705/1373/dsc03511y.jpg)
Mon couteau de bouche personnel, ici en usage pour fabriquer des pochettes de ceinture en cuir.
![[Article serie couteau traditionnel] Le Kinjal, les couteaux cosaques et leurs usages Dsc04205u](https://2img.net/r/ihimizer/img832/1089/dsc04205u.jpg)
Nous procédons à l'affûtage principalement à la lime comme sur la photo ci dessus. C'est rapide et l'émouture en V fait qu'on obtient rapidement un excellent tranchant.
Amical partage, Jonathan
NOTES : (1) : ethnogénèse : fondation d'un peuple. Pour les cosaques, il semblerait d'après le professeur Goudagov et certaines théories en cours que l'origine de mon peuple remonterait au 8ième ou 9ième siècle, issue d'un mélange des premiers varégues (vikings) ayant fondé des comptoires commerciaux et coloniaux le long des grandes fleuves et rivières de la future Russie (et qui en deviendront d'ailleurs les premières grandes villes) et de nomades discident, c'est à dire ayant quitté la sphère d'influence de leur peuple pour plus d eliberté. La première mention officielle de cosaque remonte quant à elle au Codex Cumanicus dans les environ de 1292.
(2) : Notez que la forge caucasienne figure parmi les meilleures du monde, et l'origine du Damassage serait d'ailleurs de leur région d'après certains spécialistes. Les anciens kinjal forgé avant 1917 étaient tous d'une excellente manufacture et d'un tranchant inégalé comparé aux babioles qui se font de nos jours. Le secret des méthodes de forge caucasienne et cosaques à fortiori se sont plus ou moins perdu à la suite de 75 années de soviétisme...Seuls les armes de forge russe KKB s'approchent de la qualité irréprochable des anciens kinjal et sabres cosaques.
(3) Technique du Niello : http://en.wikipedia.org/wiki/Niello
Ps : Attention avec le port de ce genre de couteau. Ils sont grands, volumineux, et attirent donc l'attention... Difficile à justifier en se baladant avec que vous faite du "bushcraft". ça reste une arme de guerre initialement...